Benjamin Leveau et Didier Bizet : ce qui est perçu n'est pas toujours ce que l'on croit

Comment faire rayonner la photographie contemporaine au niveau international ? À ce questionnement essentiel, le festival Phot'Aix apporte chaque année depuis seize ans une réponse plurielle sous la forme de dix regards croisés, rassemblant des artistes français et étrangers. Pour l'édition 2016, c'est la Belgique qui est à l'honneur. Un petit pays par sa superficie, mais très grand par sa richesse culturelle. Grâce à une collaboration étroite avec le Loft Photo 9-46 Gallery, installé à Bruxelles, cinq photographes belges présentent cette année des travaux faisant écho à ceux d'auteurs français. Du 17 novembre au 31 décembre 2016, l'ensemble des oeuvres sera exposé à la Galerie Emile Zola, à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence.

Voici la liste des photographes participants aux Regards Croisés 2016 :
Jef Beirinckx, Purim of Antwerp et Nathalie Mazéas, No Man
Sabrina Biancuzzi, Le crissement du temps et Gaëlle Abravanel, Family Tree
Roel Jacobs, Des belges sans voisins et Pierre-Emmanuel Daumas, Dans 30 km, tourner à gauche
Benjamin Leveaux, This is not America et Didier Bizet, Pyongyang Paris
Simon Vansteenwinckel, Charlyking et Mamadou Dramé, ZUP - Zone Urbaine Photographique

Benjamin Leveaux et Didier Bizet me fascinent par leur habileté à faire illusion alors même qu'ils annoncent en lettres capitales leur stratagème à qui veut bien les lire. Mais rien n'y fait : ils ont beau marteler au spectateur que ce qui est perçu n'est pas toujours ce que l'on croit, ce dernier que nous sommes se laisse inexorablement la liberté de s'extraire de la réalité afin de suivre une voie parallèle dont il est persuadé avoir encore la maîtrise. Mais finalement, ce qui importe, ce n'est pas de connaître avec précision la géolocalisation des protagonistes de "This is not America", mais bien de comprendre pourquoi notre esprit si bien huilé les propulse dans un espace plus que fantasmé. Ce qui importe également, ce n'est pas de savoir quelles sont les raisons qui ont incité un jeune Nord Coréen à venir visiter la Ville Lumière, mais bien de révéler ce qui se dérobe à nos yeux en Corée du Nord. Mais le souhaite-t-on réellement ? Avant de répondre par l'affirmative, encore faudrait-il commencer par poser cette batte de baseball puis par ne pas chercher à porter aux nues le riche programme d'un voyage organisé au centième de millimètre près. Nouvelle et vaine illusion ?
Gérald Vidamment

This is not America La série présentée ici offre une représentation parmi d’autres, née de la rencontre des fantasmes de son auteur et de ceux qui la font vivre, les sujets photographiés à travers la Belgique. De fait, chaque prise de vue trouve son origine sur le territoire belge et, pour la grande majorité, dans la seule province de Liège. L’intention avouée est bien de jouer sur les illusions, celles-là mêmes qui permettront peut-être de transporter le spectateur sur un autre continent - s’il le consent. C’est du moins le voyage auquel il est invité par l’auteur, lorsque celui-ci en appelle à ses propres rêveries, tirées de cette poignée d’années qui l’ont vu grandir dans les grands espaces canadiens. Le titre de la série, «This is not America» s’offre au spectateur telle une piste, voire une forme d’avertissement supposé susciter devant ces images, questionnements et interpellations sur leur nature propre.

Pyongyang Paris Spectacle gigantesque à l’échelle de tout un pays, mis en scène par la dictature pour les touristes, la Corée du nord offre continuellement les mêmes images. Témoigner sur place avec objectivité est chose quasi impossible. Le touriste, comme le journaliste, est orienté pour capter des images selon des angles bien particuliers, mais surtout selon un scénario écrit et interprété par des «acteurs». Cette série photographique est elle aussi une fiction, elle n’a pas vocation de témoignage littéral. Elle est la suite de ce « récit » photographique que j’ai rapporté de mon voyage à Pyongyang en 2012. Mes images de Pyongyang-Paris montrent une réalité qui s’entremêle avec une fable moderne. J’ai réglé ma mise en scène avec ce touriste nord coréen tel que mes guides ont gentiment organisé la leur à Pyongyang. Mes images s’entrecroisent entre Pyongyang et Paris : un va et vient qui s’organise autour d’un parallèle fictif. Ce nord coréen si désuet découvre également un Paris "cliché" qui lui rappelle à son insu que l’échappatoire est impossible. Ce parallèle me permet d’essayer de comprendre ce qui nous est caché en Corée du nord. Quel est le réel quotidien de ces acteurs, que se passe t-il en coulisse ?