Sun City © Peter Granser
Pour sa quatrième édition, le Festival du Regard, qui se tient à Cergy-Pontoise jusqu'au 14 juillet 2019, aborde un thème universel : Habiter. Traité à travers le médium qu'est la photographie, celui-ci se décline sous de multiples formes, du documentaire à l'approche artistique. Résolument éclectique, la programmation réalisée par les directrices artistiques du festival, Sylvie Hugues et Mathilde Terraube, questionne ainsi autant l'habitat que l'habitant, que celui-ci évolue ici ou ailleurs. "Nous habitons un « village global », mais est-ce pour autant que nous connaissons bien les modes de vie de nos voisins, qu’ils vivent à quelques kilomètres ou aux antipodes ?", soulignent-elles. Afin de nous éclairer dans l'exploration de cette thématique passionnante, le Festival du Regard propose cette année pas moins d'une quinzaine d'expositions - en intérieur et en extérieur - réunissant des photographes comme Michael Wolf, Cyrus Cornut, Hortense Soichet, Marie-Pierre Dieterlé, Gideon Mendel, Yohanne Lamoulère, Eugène Atget, ou encore Anne Rearick, Jean-Christophe Béchet et Arthur Crestani. En compagnie de Sylvie Hugues, codirectrice artistique du festival, décryptage de quelques-unes de ces terres où l'homme a choisi d'élire domicile.
Festival du Regard • du 24 mai au 14 juillet 2019
Tour EDF • Parvis de la Préfecture 95000 Cergy • entrée libre
www.festivalduregard.fr
Festival du Regard • du 24 mai au 14 juillet 2019
Tour EDF • Parvis de la Préfecture 95000 Cergy • entrée libre
www.festivalduregard.fr
© Jean-Christophe Béchet
Cette année, le festival a élu domicile dans un nouveau lieu, fort atypique : l’ancienne Tour EDF. Pourquoi ce choix ? Le festival a-t-il le souhait de l’habiter – au sens d’occuper durablement – lors des éditions prochaines ?
Sylvie Hugues : Chaque année nous habitons effectivement de nouveaux lieux, pas forcément dédiés à la photographie, que nous transformons en « galerie d'art » comme l'a justement écrit le journal Le Parisien. L'idée étant, entre autres, de donner accès à la photographie à des personnes qui n'auraient pas forcément poussé les portes d'un musée. Voilà pourquoi vous trouvez dans notre programmation autant des tirages de la fin du XIXe d'Eugène Atget, des vintages de Robert Doisneau que des travaux plus récents de jeunes photographes. Notre volonté, à Mathilde Terraube et à moi, c'est de montrer de beaux tirages à l'heure où l'image est de plus en plus dématérialisée.
Sylvie Hugues : Chaque année nous habitons effectivement de nouveaux lieux, pas forcément dédiés à la photographie, que nous transformons en « galerie d'art » comme l'a justement écrit le journal Le Parisien. L'idée étant, entre autres, de donner accès à la photographie à des personnes qui n'auraient pas forcément poussé les portes d'un musée. Voilà pourquoi vous trouvez dans notre programmation autant des tirages de la fin du XIXe d'Eugène Atget, des vintages de Robert Doisneau que des travaux plus récents de jeunes photographes. Notre volonté, à Mathilde Terraube et à moi, c'est de montrer de beaux tirages à l'heure où l'image est de plus en plus dématérialisée.
Habiter. C’est précisément le thème retenu pour cette quatrième édition, présentant pas moins de dix-sept expositions dédiées, installées en intérieur et en extérieur. Après « Adolescences », l’année dernière, comment ce thème s’est-il imposé ?
Ce thème s'est imposé pour plusieurs raisons ; d'une part parce que Cergy-Pontoise vient de fêter ses cinquante ans. C'est une ville nouvelle qui a été un laboratoire de l'habitat ; d’autre part, le Grand Centre est en pleine réhabilitation et nous avions cette année à « habiter » une tour de bureaux désaffectée des années 70 restée « dans son jus », ce qui était un vrai pari... Sans oublier une donnée essentielle : nous choisissons des thèmes qui parlent à tout le monde et dans lesquels chacun peut se retrouver.
Ce thème s'est imposé pour plusieurs raisons ; d'une part parce que Cergy-Pontoise vient de fêter ses cinquante ans. C'est une ville nouvelle qui a été un laboratoire de l'habitat ; d’autre part, le Grand Centre est en pleine réhabilitation et nous avions cette année à « habiter » une tour de bureaux désaffectée des années 70 restée « dans son jus », ce qui était un vrai pari... Sans oublier une donnée essentielle : nous choisissons des thèmes qui parlent à tout le monde et dans lesquels chacun peut se retrouver.
"L'un des traits fondamentaux de l'existence humaine est d'aménager l'espace pour le rendre habitable."
Bad City Dreams © Arthur Crestani
Comment expliquer que ce terme inspire tant les photographes ?
Habiter, c'est vital. L'un des traits fondamentaux de l'existence humaine est d'aménager l'espace pour le rendre habitable. Au travers de ce thème, le photographe – en tant que témoin de son temps – peut l'aborder sous l'angle documentaire, sociologique (comme Hortense Soichet qui nous montre le quartier de la Goutte d'Or), politique (comme Peter Granser avec les photos de Sun city) , écologique (comme Gideon Mendel et ses portraits submergés), esthétique (avec les photographies de Hong-Kong par Michael Wolf) ou encore créatif (comme les mondes imaginaires de Frank Kunert). C’est un thème très riche, qui nous concerne tous.
Habiter, c'est vital. L'un des traits fondamentaux de l'existence humaine est d'aménager l'espace pour le rendre habitable. Au travers de ce thème, le photographe – en tant que témoin de son temps – peut l'aborder sous l'angle documentaire, sociologique (comme Hortense Soichet qui nous montre le quartier de la Goutte d'Or), politique (comme Peter Granser avec les photos de Sun city) , écologique (comme Gideon Mendel et ses portraits submergés), esthétique (avec les photographies de Hong-Kong par Michael Wolf) ou encore créatif (comme les mondes imaginaires de Frank Kunert). C’est un thème très riche, qui nous concerne tous.
Au fil des décennies, l’habitat semble s’imposer à l’habitant. Sommes-nous réellement tributaires des villes, et aujourd’hui plus que jamais des mégalopoles ?
Je ne me sens pas habilité à vous répondre, n'étant ni architecte ni urbaniste. Si on prend les chiffres depuis plusieurs décennies, au niveau mondial c'est un mouvement de fond. De mémoire, en 2050 plus de deux tiers de l'humanité vivra en ville. La série d'Arthur Crestani sur Millénium City en Inde est assez éloquente sur ce sujet. Pour autant, il existe des résistances, des personnes qui choisissent de vivre différemment, autrement, des volontés de faire revivre des villages, celui photographié par Anne Rearick au Pays Basque que nous montrons paraît un îlot de paix au milieu de la nature.
Je ne me sens pas habilité à vous répondre, n'étant ni architecte ni urbaniste. Si on prend les chiffres depuis plusieurs décennies, au niveau mondial c'est un mouvement de fond. De mémoire, en 2050 plus de deux tiers de l'humanité vivra en ville. La série d'Arthur Crestani sur Millénium City en Inde est assez éloquente sur ce sujet. Pour autant, il existe des résistances, des personnes qui choisissent de vivre différemment, autrement, des volontés de faire revivre des villages, celui photographié par Anne Rearick au Pays Basque que nous montrons paraît un îlot de paix au milieu de la nature.
Pays Basque © Anne Rearick / Agence Vu’
Dans le travail de Cyrus Cornut sur Chongqing, doit-on retenir davantage la fatalité des anciens paysans ou l’acte de résistance des derniers pêcheurs ?
Cyrus Cornut a mis l'accent sur le fait que malgré la croissance exponentielle de cette municipalité de 15 millions d'habitants, qui accueille chaque année 300 000 arrivants, certains Chinois – des paysans notamment rescapés du barrage des Trois-Gorges – s'accaparent la moindre parcelle pour y cultiver des légumes, faire du maraîchage, c'est effectivement une sorte d'acte de résistance mais aussi une façon de renouer avec leurs coutumes.
Cyrus Cornut a mis l'accent sur le fait que malgré la croissance exponentielle de cette municipalité de 15 millions d'habitants, qui accueille chaque année 300 000 arrivants, certains Chinois – des paysans notamment rescapés du barrage des Trois-Gorges – s'accaparent la moindre parcelle pour y cultiver des légumes, faire du maraîchage, c'est effectivement une sorte d'acte de résistance mais aussi une façon de renouer avec leurs coutumes.
Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe © Cyrus Cornut
À en croire les habitants de grandes agglomérations, la ville étoufferait l’homme. C’est à s’interroger sur le bien-fondé de vivre à la ville… Avec humour et absurdité, Frank Kunert force ainsi la réflexion sur notre lifestyle actuel…
Plus que la ville, ce sont plutôt les urbanistes qu'il peut parfois épingler comme avec cette image d'un balcon qui donne sur une voie de chemin de fer ou certains travers de notre époque, comme ces toilettes qui se déversent dans la télévision ou ce musée d'art contemporain auquel il manque les premières marches...
Plus que la ville, ce sont plutôt les urbanistes qu'il peut parfois épingler comme avec cette image d'un balcon qui donne sur une voie de chemin de fer ou certains travers de notre époque, comme ces toilettes qui se déversent dans la télévision ou ce musée d'art contemporain auquel il manque les premières marches...
Sonnenseite © Franck Kunert
On met généralement face à face la ville et la campagne. Cette opposition ne transpire pas dans la programmation du Festival du Regard. Est-ce délibéré ?
Une programmation ne répond pas – à mon sens – à ce genre de présupposé. En tous cas, ce n'était pas notre volonté d'entrer dans un sujet binaire. Ce serait simpliste et surtout ennuyeux pour les visiteurs. Nous avons réuni au contraire une diversité de regards, d'écritures, de visions sur le thème habiter avec le souci du spectateur, pour que chacun puisse y trouver matière à émotion ou à réflexion.
Une programmation ne répond pas – à mon sens – à ce genre de présupposé. En tous cas, ce n'était pas notre volonté d'entrer dans un sujet binaire. Ce serait simpliste et surtout ennuyeux pour les visiteurs. Nous avons réuni au contraire une diversité de regards, d'écritures, de visions sur le thème habiter avec le souci du spectateur, pour que chacun puisse y trouver matière à émotion ou à réflexion.
Si le photographe ressent généralement de la fascination à l’idée de découvrir une mégalopole, à l’inverse l’habitant de celle-ci aspire souvent à un ailleurs. Comment l’expliquer ?
Il suffit de venir au festival et s'immerger dans les œuvres de Michael Wolf qui a beaucoup photographié Hong-Kong pour le comprendre... Il y a une sorte de fascination/inquiétude qui s'opère face aux grands tirages du photographe allemand que nous avons scénographié de façon particulière, en les plaçant dans une salle obscure avec des éclairages ponctuels.
Il suffit de venir au festival et s'immerger dans les œuvres de Michael Wolf qui a beaucoup photographié Hong-Kong pour le comprendre... Il y a une sorte de fascination/inquiétude qui s'opère face aux grands tirages du photographe allemand que nous avons scénographié de façon particulière, en les plaçant dans une salle obscure avec des éclairages ponctuels.
Architecture of Density © Michaël Wolf, courtesy La Galerie Particulière, Paris
À travers tous les sujets présentés autour de l’habitat dans le cadre du festival, il en ressort un point commun : celui d’habitants bien décidés à continuer à occuper le lieu qu’ils ont choisi, malgré le temps et les aléas qui pourraient les contraindre de renoncer. Est-ce le message de cette quatrième édition ?
Certaines séries de photographes peuvent y faire penser effectivement comme celle de Yohanne Lamoulère qui documente Marseille et les marseillais qui aiment leur ville et se battent pour des meilleurs conditions d'habitat. Mais il y a aussi des habitants qui souhaitent partir pour des logements neufs, comme ceux photographiés par Marie-Pierre Dieterlé à la cité Gagarine d'Ivry-sur-Seine. Bref, les choses, comme souvent, ne sont pas si simples.
Certaines séries de photographes peuvent y faire penser effectivement comme celle de Yohanne Lamoulère qui documente Marseille et les marseillais qui aiment leur ville et se battent pour des meilleurs conditions d'habitat. Mais il y a aussi des habitants qui souhaitent partir pour des logements neufs, comme ceux photographiés par Marie-Pierre Dieterlé à la cité Gagarine d'Ivry-sur-Seine. Bref, les choses, comme souvent, ne sont pas si simples.
La cité Gagarine sur le départ. Yvette, 75 ans, a vécu 20 ans à Gagarine avec son mari Daniel. © Marie-Pierre Dieterlé
Faux Bourgs © Yohanne Lamoulère / Tendance Floue
Portraits submergés © Gideon Mendel
Festival du Regard • du 24 mai au 14 juillet 2019
Tour EDF • Parvis de la Préfecture 95000 Cergy • entrée libre
www.festivalduregard.fr
Tour EDF • Parvis de la Préfecture 95000 Cergy • entrée libre
www.festivalduregard.fr