Life’s Bazaar, par Stéphane Giner

Pour bien photographier, dit-on, il faut posséder le bon regard, celui auquel rien n’échappe. Stéphane, lui, possède une paire d’oreilles en plus. Et cela fait toute la différence. Les gens qu’ils rencontrent, il ne les connaît pas toujours. « Quand je décide de faire une image, c'est à la suite d'une rencontre avec un personnage. Quelqu’un qui a selon moi une histoire intéressante ou ce petit quelque chose qui donne envie d'aller plus loin et de le découvrir dans son univers quotidien. Ca peut être un ami, un voisin, le voisin d'un ami ... ou quelqu’un rencontré au hasard dans un café, dans la rue... Donc je ne sais jamais vraiment à quoi m'attendre quand je sonne à sa porte avec mon matériel photo ! Il peut y avoir une bonne surprise, ou pas ! » Pour réussir ses images, le secret est simple. « Je passe du temps à écouter les récits de la vie de ces gens, j'essaie de me glisser un peu dans leur peau, ce qui me sert ensuite à les prendre tels qu'ils sont, et non tels qu'ils voudraient paraitre au yeux des autres lors de la séance ».

Mais au fait, comment tout ceci a-t-il commencé ? « Le point de départ du projet est un concours photo. J'étais passé voir des amis, Kelly et Julien. Kelly me parle de ce concours et me dit qu'elle aimerait bien participer. Il faut présenter des images qui racontent qui on est. Mais elle n'a pas d'appareil photo digne de ce nom, et possède encore moins les compétences nécessaires pour réaliser des autoportraits capables d'éveiller l'attention du jury. Du coup je lui propose de la prendre en photo moi-même et de lui donner les images pour le concours comme si elle les avait faites elle même. Rapidement, je lui propose de faire des images dans sa salle de bain. J'adore les salles de bain, les toilettes ou les scènes "à table" des repas car je trouve que ce sont des décors qui révèlent et/ou évoquent une idée forte d'intimité. Ensuite tout naturellement nous avons rempli la baignoire d'eau, puis de bombes de peinture, mis la vaisselle sale de l'évier de la cuisine dans celui de la salle de bain et profité du bazar déjà présent pour parfaire le décor. Comme elle revenait de vacances dans les îles, nous avons aussi mis une bouteille de soda local dans la scène pour le clin d'œil. Le résultat nous a bien plu et nous nous sommes même dit à ce moment là qu'avec une seule photo il était possible de raconter quelqu’un. La personne est présentée au public dans son univers, par ses propres objets du quotidien. Organiser le décor oui, mais arriver les mains vides pour la séance et n'utiliser que la "matière première" trouvée sur place. Les photos n'ont jamais été présentées au concours parce qu'elle ne voulait pas tricher. Je ne les ai pas présentées non plus car il s'agissait d'autoportraits... Mais comme le résultat me plaisait, je me suis dit qu'il y avait quelque chose que je pourrais creuser un petit peu en essayant de trouver d'autres personnes à mettre en scène ».

Organiser le décor… On imagine déjà le temps passé à trouver les idées, rassembler les objets et accessoires qui viendront garnir la scène… une journée de préparation pour ne sortir au final que quelques clichés… Et bien point du tout. Stéphane aime agir vite. Et ce n’est pas sans raison. « Le jour J, j'essaie d'aller le plus vite possible, ne pas perdre de temps avec la technique et la mise en place. Il ne faut pas que les modèles soient lassés avant même d'avoir pris la première image. Quand je commence à déclencher, je laisse le champ libre aux modèles. Je déclenche quand ca me va. Si ça ne me va pas du tout pendant un petit moment, j'engage une discussion et là je déclenche sans viser. Travailler au grand angle, c'est souvent pratique ». Finalement, Stéphane se complait davantage dans l’improvisation organisée. « Il y a dans l'improvisation cette petite touche mystérieuse qui fait que sans elle tout semble aseptisé, trop "téléphoné"... Le hasard fait bien les choses, j'en suis convaincu ».

Reste que Stéphane recherche en premier lieu des candidats dont les notions de rangement et de tri sélectif n’ont que peu de résonnance dans leurs univers. Autrement dit, face à une personne méticuleuse voire hyper maniaque, l’affaire semble bien difficile à ficeler. Que nenni… « La première idée qui me vient, c'est évidemment de faire une mise en scène super carrée, toute en symétrie droite/gauche, avec la personne en plein centre, le regard qui scrute et vérifie la bonne mise en place du décor. La deuxième idée… Comme ce sont généralement des personnes qui aimeraient figer le temps, que tout soit parfait et que rien ne change d'un quart de poil, une mise en scène plus compliquée où tous les objets seraient photographiés un par un avant, détourés, imprimés sur papier et redisposés chez la personne. Toujours avec un grand respect de la symétrie. Une sorte d'image mentale de la personne. Pour les deux images, je vois bien un dépoli quadrillé ou avec des repaires comme les photos prises sur la lune ».